L'Argent

L'Argent (paragraphe n°88)

Chapitre I

Mais, depuis sa déconfiture, il n'avait point osé rentrer à la Bourse ; et, ce jour-là encore, un sentiment de vanité souffrante, la certitude d'y être accueilli en vaincu, l'empêchait de monter les marches. Comme les amants chassés de l'alcôve d'une maîtresse, qu'ils désirent davantage, même en croyant l'exécrer, il revenait fatalement là, il faisait le tour de la colonnade sous des prétextes, traversant le jardin, marchant d'un pas de promeneur, à l'ombre des marronniers. Dans cette sorte de square poussiéreux, sans gazon ni fleurs, où grouillait sur les bancs, parmi les urinoirs et les kiosques à journaux, un mélange de spéculateurs louches et de femmes du quartier en cheveux, allaitant des poupons, il affectait une flânerie désintéressée : levait les yeux, guettait, avec la furieuse pensée qu'il faisait le siège du monument, qu'il l'enserrait d'un cercle étroit, pour y rentrer un jour en triomphateur.

?>