La Débâcle

La Débâcle (paragraphe n°60)

Partie : PREMIERE PARTIE, chapitre I

Seulement, que voulez-vous ! je ne suis pas tranquille... Je la connais bien, mon Alsace ; je viens de la traverser encore, pour mes affaires ; et nous avons vu, nous autres, ce qui crevait les yeux des généraux, et ce qu'ils ont refusé de voir... Ah ! la guerre avec la Prusse, nous la désirions, il y avait longtemps que nous attendions paisiblement de régler cette vieille querelle. Mais ça n'empêchait pas nos relations de bon voisinage avec Bade et avec la Bavière, nous avons tous des parents ou des amis, de l'autre côté du Rhin. Nous pensions qu'ils rêvaient comme nous d'abattre l'orgueil insupportable des Prussiens... Et nous, si calmes, si résolus, voilà plus de quinze jours que l'impatience et l'inquiétude nous prennent, à voir comment tout va de mal en pis. Dès la déclaration de guerre, on a laissé les cavaliers ennemis terrifier les villages, reconnaître le terrain, couper les fils télégraphiques. Bade et la Bavière se lèvent, d'énormes mouvements de troupes ont lieu dans le Palatinat, les renseignements venus de partout, des marchés, des foires, nous prouvent que la frontière est menacée ; et, quand les habitants, les maires des communes, effrayés enfin, accourent dire cela aux officiers qui passent, ceux-ci haussent les épaules : des hallucinations de poltrons,l'ennemi est loin... Quoi ? lorsqu'il n'aurait pas fallu perdre une heure, les jours et les jours se passent ! Que peut-on attendre ? que l'Allemagne tout entière nous tombe sur les reins !

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