La Terre

La Terre (paragraphe n°2324)

Chapitre III

Fouan ne s'ennuyait point, même dans ces pénibles fins de mois ; car la fille et le père se mettaient alors en campagne pour emplir la marmite ; et le vieux, entraîné, finissait par en être. Le premier jour où il avait vu la Trouille rapporter une poule, pêchée à la ligne, de l'autre côté d'un mur, il s'était fâché. Ensuite, elle l'avait fait trop rire, la seconde fois, un matin qu'elle était cachée dans les feuilles d'un arbre, laissant pendre, au milieu d'une bande de canards en promenade, un hameçon appâté de viande : un canard, brusquement, s'était jeté, avalant tout, la viande, l'hameçon, la ficelle ; et il avait disparu en l'air, tiré d'un coup sec, étouffé, sans un cri. Ce n'était guère délicat, bien sûr ; mais les bêtes qui vivent dehors, n'est-ce pas ? ça devrait appartenir à qui les attrape, et tant qu'on ne vole pas de l'argent, mon Dieu ! on est honnête. Dès lors, il s'intéressa aux coups de maraude de cette bougresse, des histoires à ne pas croire, un sac de pommes que le propriétaire l'avait aidée à porter, des vaches en pâture traites dans une bouteille, jusqu'au linge des blanchisseuses qu'elle chargeait de pierres et qu'elle coulait au fond de l'Aigre, où elle revenait plonger la nuit, pour le reprendre. On ne voyait qu'elle par les chemins, ses oies lui étaient un continuel prétexte à battre le pays, guettant une occasion du bord d'un fossé, pendant des heures, de l'air endormi d'une gardeuse qui fait manger son troupeau ; même elle se servait de ses oies, ainsi que de vrais chiens, le jars sifflait et laprévenait, dès qu'un importun menaçait de la surprendre. Elle avait dix-huit ans à cette heure, et elle n'était guère plus grande qu'à douze, toujours souple et mince comme un scion de peuplier, avec sa tête de chèvre, aux yeux verts, fendus de biais, à la bouche large, tordue à gauche. Sous les vieilles blouses de son père, sa petite gorge d'enfant s'était durcie sans grossir. Un vrai garçon, qui n'aimait que ses bêtes, qui se moquait bien des hommes, ce qui ne l'empêchait pas, quand elle jouait à se taper avec quelque galopin, de finir le jeu sur le dos, naturellement, parce que c'était fait pour ça et que ça ne tirait point à conséquence. Elle avait la chance d'en rester aux vauriens de son âge, ce serait devenu tout à fait sale, si les hommes posés, les vieux, la trouvant mal en chair, ne l'avaient laissée tranquille. Enfin, comme disait le grand-père, amusé et séduit, à part qu'elle volait trop et qu'elle manquait un peu de décence, elle était tout de même une drôle de fille, moins rosse qu'on n'aurait cru.

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