Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°149)

Chapitre I

Florent était seul. Il fut d'abord heureux de cette solitude. Depuis que madame François l'avait recueilli, dans l'avenue de Neuilly, il marchait au milieu d'une somnolence et d'une souffrance qui lui ôtaient l'idée exacte des choses. Il était libre enfin, il voulut se secouer, secouer ce rêve intolérable de nourritures gigantesques dont il se sentait poursuivi. Mais sa tête restait vide, il n'arriva qu'à retrouver au fond de lui une peur sourde. Le jour grandissait, on pouvait le voir maintenant ; et il regardait son pantalon et sa redingote lamentables. Il boutonna la redingote, épousseta le pantalon, essaya un bout de toilette, croyant entendre ces loques noires dire tout haut d'où il venait. Il était assis au milieu du banc, à côté de pauvres diables, de rôdeurs échoués là, en attendant le soleil. Les nuits des Halles sont douces pour les vagabonds. Deux sergents de ville, encore en tenue de nuit, avec la capote et le képi, marchant côte à côte, les mains derrière le dos, allaient et venaient le long du trottoir ; chaque fois qu'ils passaient devant le banc, ils jetaient un coup d'œil sur le gibier qu'ils y flairaient.Florent s'imagina qu'ils le reconnaissaient, qu'ils se consultaient pour l'arrêter. Alors l'angoisse le prit. Il eut une envie folle de se lever, de courir. Mais il n'osait plus, il ne savait de quelle façon s'en aller. Et les coups d'œil réguliers des sergents de ville, cet examen lent et froid de la police le mettaient au supplice. Enfin, il quitta le banc, se retenant pour ne pas fuir de toute la longueur de ses grandes jambes, s'éloignant pas à pas, serrant les épaules, avec l'horreur de sentir les mains rudes des sergents de ville le prendre au collet, par-derrière.

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