Nana

Nana (paragraphe n°128)

Chapitre I

Le décor du second acte fut une surprise. On était dans un bastringue de barrière, à la Boule-Noire, en plein mardi gras ; des chienlits chantaient une ronde, qu'ils accompagnaient au refrain en tapant des talons. Cette échappée canaille, à laquelle on ne s'attendait point, égaya tellement, qu'on bissa la ronde. Et c'était là que la bande des dieux, égarée par Iris, qui se vantait faussement de connaître la Terre, venait procéder à son enquête. Ils s'étaient déguisés pour garder l'incognito. Jupiter entra en roi Dagobert, avec sa culotte à l'envers et une vaste couronne de fer-blanc. Phébus parut en Postillon de Longjumeau et Minerve en Nourrice normande. De grands éclats de gaieté accueillirent Mars, qui portait un costume extravagant d'Amiral suisse. Mais les rires devinrent scandaleux lorsqu'on vit Neptune vêtu d'une blouse, coiffé d'une haute casquette ballonnée, des accroche-cœurs cloués aux tempes, traînant sespantoufles et disant d'une voix grasse : " De quoi ! quand on est bel homme, faut bien se laisser aimer ! " Il y eut quelques oh ! oh ! tandis que les dames haussaient un peu leurs éventails. Lucy, dans son avant-scène, riait si bruyamment que Caroline Héquet la fit taire d'un léger coup d'éventail.

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