Un matin à Ville-d’Avray
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"Corot [est un] maître dont le talent est si connu que je puis me dispenser d'en faire l'analyse. J'avoue préférer mille fois à ses grandes toiles, où il arrange la nature dans une gamme sourde et rêveuse, les études plus sincères et plus éclatantes qu'il fait en pleins champs. Je me souviens d'avoir vu dernièrement, dans une vente, un adorable chemin creux, tout ensoleillé, peint avec une franchise et une solidité magistrales. Certes, cela valait mieux que la campagne laiteuse à laquelle il a habitué le public, difficilement il est vrai. D'ailleurs, Corot est un peintre de race, très personnel, très savant, et on doit le reconnaître comme le doyen des naturalistes, malgré ses prédilections pour les effets de brouillard. Si les tons vaporeux, qui lui sont habituels, semblent le classer parmi les rêveurs et les idéalistes, la fermeté et le gras de sa touche, le sentiment vrai qu'il a de la nature, la compréhension large des ensembles, surtout la justesse et l'harmonie des valeurs en font un des maîtres du naturalisme moderne. Le meilleur des deux tableaux qu'il a au Salon, est, selon moi, la toile intitulée : Un matin à Ville-d'Avray. C'est un simple rideau d'arbres, dont les pieds plongent dans une eau dormante et dont les cimes se perdent dans les vapeurs blanchâtres de l'aube. On dirait une nature élyséenne, et ce n'est là cependant que de la réalité, un peu adoucie peut-être. Je me souviens d'avoir vu, à Bonnières, une matinée semblable ; des fumées blanches traînaient sur la Seine, montant par lambeaux le long des grands peupliers des îles, dont elles noyaient le feuillage ; un ciel gris flottait, emplissant l'horizon d'une tristesse vague." (Emile Zola, Les Paysagistes, Juin 1868)
Auteur
Jean-Baptiste-Camille Corot (1796-1875)
Date
1868
Origine
Musée des Beaux-Arts, Rouen