Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°1570)

Chapitre VIII

Les Baudu, cependant, malgré leur volonté de ne rien changer aux habitudes du Vieil Elbeuf, tâchaient de soutenir la concurrence. La clientèle ne venant plus à eux, ils s'efforçaient d'aller à elle, par l'intermédiaire des courtiers. Il y avait alors, sur la place de Paris, un courtier, en rapport avec tous les grands tailleurs, qui sauvait les petites maisons de draps et de flanelles, lorsqu'il voulait bien les représenter. Naturellement, on se le disputait, il prenait une importance de personnage ; et, Baudu, l'ayant marchandé, eut le malheur de le voirs'entendre avec les Matignon, de la rue Croix-des-Petits-Champs. Coup sur coup, deux autres courtiers le volèrent ; un troisième, honnête homme, ne faisait rien. C'était la mort lente, sans secousse, un ralentissement continu des affaires, des clientes perdues une à une. Le jour vint où les échéances furent lourdes. Jusque-là, on avait vécu sur les économies d'autrefois ; maintenant, la dette commençait. En décembre, Baudu, terrifié par le chiffre des billets souscrits, se résigna au plus cruel des sacrifices : il vendit sa maison de campagne de Rambouillet, une maison qui lui coûtait tant d'argent en réparations continuelles, et dont les locataires ne l'avaient pas même payé, lorsqu'il s'était décidé à en tirer parti. Cette vente tuait le seul rêve de sa vie, son cœur en saignait comme de la perte d'une personne chère. Et il dut céder, pour soixante-dix mille francs, ce qui lui en coûtait plus de deux cent mille. Encore fut-il heureux de trouver les Lhomme, ses voisins, que le désir d'augmenter leurs terres détermina. Les soixante-dix-mille francs allaient soutenir la maison pendant quelque temps encore. Malgré tous les échecs, l'idée de la lutte renaissait : avec de l'ordre, à présent, on pouvait vaincre peut-être.

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