Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°1685)

Chapitre IX

Un lundi, quatorze mars, le Bonheur des dames inaugurait ses magasins neufs par la grande exposition des nouveautés d'été, qui devait durer trois jours. Au-dehors, une aigre bise soufflait, les passants, surpris de ce retour d'hiver, filaient vite, en boutonnant leurs paletots. Cependant, toute une émotion fermentait dans les boutiques du voisinage ; et l'on voyait, contre les vitres, les faces pâles des petits commerçants, occupés à compter les premières voitures, qui s'arrêtaient devant la nouvelle porte d'honneur, rue Neuve-Saint-Augustin. Cette porte, haute et profonde comme un porche d'église, surmontée d'un groupe : l'Industrie et le Commerce se donnant la main au milieu d'une complication d'attributs, était abritée sous une vaste marquise, dont les dorures fraîches semblaient éclairer les trottoirs d'un coup de soleil. A droite, à gauche, les façades, d'une blancheur crue encore, s'allongeaient, faisaient retour sur les rues Monsigny et de la Michodière, occupaient toute l'île, sauf le côté de la rue du Dix-Décembre, où le Crédit Immobilier allait bâtir. Le long de ce développement de caserne, lorsque les petits commerçants levaient la tête, ils apercevaient l'amoncellement des marchandises, par les glaces sans tain, qui, du rez-de-chaussée au second étage, ouvraient la maison au plein jour. Et ce cube énorme, ce colossal bazar leur bouchait le ciel, leurparaissait être pour quelque chose dans le froid dont ils grelottaient, au fond de leurs comptoirs glacés.

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