Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°200)

Chapitre II

Bourdoncle, fils d'un fermier pauvre des environs de Limoges, avait débuté jadis au Bonheur des dames, en même temps que Mouret, lorsque le magasin occupait l'angle de la place Gaillon. Très intelligent, très actif, il semblait alors devoir supplanter aisément son camarade, moins sérieux, et qui avait toutes sortes de fuites, une apparente étourderie, des histoires de femmes inquiétantes ; mais il n'apportait pas le coup de génie de ce Provençal passionné, ni son audace, ni sa grâce victorieuse. D'ailleurs, par un instinct d'homme sage, il s'était incliné devant lui, obéissant et cela sans lutte, dès le commencement. Lorsque Mouret avait conseillé à ses commis de mettre leur argent dans la maison, Bourdoncle s'était exécuté un des premiers, lui confiant mêmel'héritage inattendu d'une tante ; et, peu à peu, après avoir passé par tous les grades, vendeur, puis second, puis chef de comptoir à la soie, il était devenu un des lieutenants du patron, le plus cher et le plus écouté, un des six intéressés qui aidaient celui-ci à gouverner le Bonheur des dames, quelque chose comme un conseil de ministres sous un roi absolu. Chacun d'eux veillait sur une province. Bourdoncle était chargé de la surveillance générale.

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