Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°2434)

Chapitre XII

Alors, il remontait, il continuait sa tournée, parlant et s'agitant davantage, sans pouvoir se distraire. Au second étage, il visitait le service des expéditions, cherchait des querelles, s'exaspérait sourdement contre la régularité parfaite de la machine qu'il avait réglée lui-même. Ce service était celui qui prenait de jour en jour l'importance la plus considérable : il nécessitait à présent deux cents employés, dont les uns ouvraient, lisaient, classaient les lettres venues de la province et de l'étranger, tandis queles autres réunissaient dans des cases les marchandises demandées par les signataires. Et le nombre des lettres croissait tellement, qu'on ne les comptait plus ; on les pesait, il en arrivait jusqu'à cent livres par jour. Lui, fiévreux, traversait les trois salles du service, questionnait Levasseur, le chef, sur le poids du courrier : quatre-vingts livres, quatre-vingt-dix parfois, le lundi cent. Le chiffre montait toujours, il aurait dû être ravi. Mais il demeurait frissonnant, dans le tapage que l'équipe voisine des emballeurs faisait en clouant des caisses. En vain, il battait la maison : l'idée fixe restait enfoncée entre ses deux yeux, et à mesure que sa puissance se déroulait, que les rouages des services et l'armée de son personnel défilaient devant lui, il sentait plus profondément l'injure de son impuissance. Les commandes de l'Europe entière affluaient, il fallait une voiture des Postes spéciale pour apporter la correspondance ; et elle disait non, toujours non.

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