Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°2473)

Chapitre XII

Plusieurs fois déjà, Denise avait trouvé Deloche qui l'attendait. Comme seconde, elle était chargée des rapports du rayon avec l'atelier, où l'on ne faisait d'ailleurs que les modèles et les retouches ; et, à toute heure, elle montait, pour donner des ordres. Il la guettait, inventait un prétexte, filait derrière elle ; puis, il affectait la surprise, quand il la rencontrait, à la porte des confectionneuses. Elle avait fini par en rire, c'étaient comme des rendez-vous acceptés. Le corridor longeait le réservoir, un énorme cube de tôle qui contenait soixante mille litres d'eau ; et il y en avait, sur le toit, un second d'égale grandeur, auquel on arrivait par une échelle de fer. Un instant, Deloche causait, appuyé d'une épaule contre le réservoir, dans le continuel abandon de son grand corps ployé de fatigue. Des bruits d'eau chantaient,des bruits mystérieux dont la tôle gardait toujours la vibration musicale. Malgré le profond silence, Denise se retournait avec inquiétude, ayant cru voir passer une ombre sur les murailles nues, peintes en jaune clair. Mais, bientôt, la fenêtre les attirait, ils s'y accoudaient, s'y oubliaient dans des bavardages rieurs, des souvenirs sans fin sur le pays de leur enfance. Au-dessous d'eux, s'étendait l'immense vitrage de la galerie centrale, un lac de verre borné par les toitures lointaines, comme par des côtes rocheuses. Et ils ne voyaient au-delà que du ciel, une nappe de ciel, qui reflétait, dans l'eau dormante des vitres, le vol de ses nuages et le bleu tendre de son azur.

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