Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°2539)

Chapitre XII

Le lendemain, Denise était nommée première. La direction avait dédoublé le rayon des robes et costumes, en créant spécialement en sa faveur un rayon de costumes pour enfants, qui fut installé près du comptoir des confections. Depuis le renvoi de son fils, madame Aurélie tremblait, car elle sentait ces messieurs devenir froids et elle voyait de jour en jour grandir la puissance de la jeune fille. N'allait-on pas la sacrifier à cette dernière, en profitant d'un prétexte quelconque ? Son masque d'empereur soufflé de graisse semblait avoir maigri de la honte qui entachait maintenant la dynastie des Lhomme : et elle affectait de s'en aller chaque soir au bras de son mari, rapprochés tous deux par l'infortune, comprenant que le mal venait de la débandade de leur intérieur ; tandis que le pauvre homme, plus affecté qu'elle, dans la peur maladive qu'on ne le soupçonnât lui-même de vol, comptait deux fois les recettes,bruyamment, en faisant avec son mauvais bras de véritables miracles. Aussi, lorsqu'elle vit Denise passer première aux costumes pour enfants, éprouva-t-elle une joie si vive, qu'elle afficha à l'égard de celle-ci les sentiments les plus affectueux. C'était bien beau de ne pas lui avoir pris sa place. Et elle la comblait d'amitiés, la traitait désormais en égale, allait causer souvent avec elle, dans le rayon voisin, d'un air d'apparat, comme une reine mère rendant visite à une jeune reine.

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