Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°2545)

Chapitre XII

Alors, un nouveau mouvement d'opinion se fit en faveur de Denise. Comme Bourdoncle, vaincu, répétait avec désespoir à ses familiers qu'il aurait donné beaucoup pour la coucher lui-même dans le lit de Mouret, il fut acquis qu'elle n'avait pas cédé, que sa toute-puissance résultait de ses refus. Et, dès ce moment, elle devint populaire. On n'ignorait pas les douceurs qu'on lui devait, on l'admirait pour la force de sa volonté. En voilà une, au moins, qui mettait le pied sur la gorge du patron, et qui les vengeait tous, et qui savait tirer de lui autre chose que des promesses ! Elle était donc venue, celle qui faisait respecter un peu les pauvres diables ! Lorsqu'elle traversait les comptoirs, avec sa tête fine et obstinée, son air tendre et invincible, les vendeurs lui souriaient étaient fiers d'elle, l'auraient volontiers montrée à la foule. Denise, heureuse, se laissait porter par cette sympathie grandissante. Etait-ce possible, mon Dieu ! Elle se voyait arriver en jupe pauvre, effarée, perdue au milieu des engrenages de la terrible machine ; longtemps, elle avait eu la sensation de n'être rien, à peine un grain de mil sous les meules qui broyaient un monde ; et, aujourd'hui, elle était l'âme même de ce monde, elle seule importait, elle pouvait d'un mot précipiter ou ralentir le colosse, abattu à ses petits pieds. Cependant, elle n'avait pas voulu ces choses, elle s'était simplement présentée, sans calcul,avec l'unique charme de la douceur. Sa souveraineté lui causait parfois une surprise inquiète : qu'avaient-ils donc tous à lui obéir ? elle n'était point jolie, elle ne faisait pas le mal. Puis, elle souriait, le cœur apaisé, n'ayant en elle que de la bonté et de la raison, un amour de la vérité et de la logique qui était toute sa force.

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