Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°2674)

Chapitre XIII

Un grand frisson secouait madame Robineau. Elle eut deux ou trois cris inarticulés ; puis, elle ne parla plus, elle s'abattit près du brancard, dont elle écarta les toiles de ses mains tremblantes. Les hommes qui venaient de leporter, attendaient devant la maison, pour le remporter, lorsqu'on aurait enfin trouvé un médecin. On n'osait plus toucher à Robineau, qui avait repris connaissance, et dont les souffrances devenaient atroces, au moindre mouvement. Quand il vit sa femme, deux grosses larmes coulèrent sur ses joues. Elle l'avait embrassé, et elle pleurait, en le regardant de ses yeux fixes. Dans la rue, la cohue continuait, les visages s'entassaient comme au spectacle, avec des yeux luisants ; des ouvrières, échappées d'un atelier, menaçaient d'enfoncer les glaces des vitrines, pour mieux voir. Afin d'échapper à cette fièvre de curiosité, et jugeant d'ailleurs qu'il n'était pas convenable de laisser le magasin ouvert, Denise eut l'idée de baisser le rideau métallique. Elle-même alla tourner la manivelle, l'engrenage avait un cri plaintif, les feuilles de tôle descendaient avec lenteur, ainsi qu'une draperie lourde tombant sur le dénouement d'un cinquième acte. Et, lorsqu'elle rentra et qu'elle eut fermé derrière elle la petite porte ronde, elle retrouva madame Robineau serrant toujours son mari entre ses bras éperdus, sous le demi-jour louche qui venait des deux étoiles découpées dans la tôle. La boutique ruinée semblait glisser au néant, seules les deux étoiles luisaient sur cette catastrophe rapide et brutale du pavé parisien. Enfin, madame Robineau recouvra la parole.

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