Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°2789)

Chapitre XIV

Lorsque Mouret reçut sa démission, il resta muet et comme froid, dans l'effort qu'il faisait pour se contenir. Puis, il déclara sèchement qu'il lui accordait huit jours de réflexion, avant de lui laisser commettre une pareille sottise. Au bout des huit jours, quand elle revint sur ce sujet, en exprimant la volonté formelle de s'en aller après la grande mise en vente, il ne s'emporta pas davantage, il affecta de parler raison : elle manquait sa fortune, elle ne retrouverait nulle part la position qu'elle occupait chez lui. Avait-elle donc une autre place en vue ? il était tout prêt à lui donner les avantages qu'elle espérait obtenir ailleurs. Et la jeune fille ayant répondu qu'elle n'avait pas cherché de place, qu'elle comptait se reposer d'abord un mois à Valognes, grâce aux économies déjà faites par elle, il demanda ce qui l'empêcherait de rentrer ensuite au Bonheur, si le soin de sa santé l'obligeait seul à en sortir. Elle se taisait, torturée par cet interrogatoire. Alors, il s'imagina qu'elle allait retrouver un amant, un mari peut-être. Ne lui avait-elle pas avoué, un soir, qu'elle aimait quelqu'un ? Depuis ce moment, il portait en plein cœur, enfoncé comme un couteau, cet aveu arraché dans une heure de trouble. Et, si cet homme devait l'épouser, elle abandonnait tout pour le suivre : cela expliquait son obstination. C'était fini, il ajouta simplement de sa voix glacée qu'il ne la retenait plus, puisqu'elle ne pouvait lui confier les vraies causes de son départ. Cette conversation dure, sans colère, la bouleversa davantage que la scène violente dont elle avait peur.

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