Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°287)

Chapitre II

Sans attendre une réponse, il s'éloigna, il rejoignit Bourdoncle, en train déjà de faire le tour des rayons. Dans le hall central, une cour intérieure qu'on avait vitrée, se trouvait la soie. Tous deux suivirent d'abord la galerie de la rue Neuve-Saint-Augustin, que le blanc occupait d'un bout à l'autre. Rien d'anormal ne les frappa, ils passèrent lentement au milieu des commis respectueux. Puis, ils tournèrent dans la rouennerie et la bonneterie, où le même ordre régnait. Mais, aux lainages, le long de la galerie qui revenait perpendiculairement à la rue de la Michodière, Bourdoncle reprit son rôle de grand exécuteur, en apercevant un jeune homme assis sur un comptoir, l'air brisé par une nuit blanche ; et ce jeune homme, nommé Liénard, fils d'un riche marchand de nouveautés d'Angers, courba le front sous la réprimande, ayant la seule peur, dans sa vie de paresse, d'insouciance et de plaisir, d'être rappelé en province par son père. Dès lors, les observations tombèrent dru comme grêle, lagalerie de la rue de la Michodière reçut l'orage : à la draperie, un vendeur au pair, de ceux qui débutaient et qui couchaient dans leurs rayons, était rentré après onze heures ; à la mercerie, le second venait de se laisser prendre au fond du sous-sol, achevant une cigarette. Et ce fut surtout à la galerie que la tempête éclata, sur la tête d'un des rares Parisiens de la maison, le joli Mignot, ainsi qu'on l'appelait, bâtard déclassé d'une maîtresse de harpe : son crime était d'avoir fait un scandale au réfectoire, en se plaignant de la nourriture. Comme il y avait trois tables, une à neuf heures et demie, l'autre à dix heures et demie, et l'autre à onze heures et demie, il voulut expliquer qu'étant de la troisième table, il avait toujours des fonds de sauce, des portions rognées.

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