Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°2878)

Chapitre XIV

Comme madame Desforges cherchait madame Guibal, elle s'exclama, en l'apercevant avec madame Marty. Cette dernière, suivie de sa fille Valentine, était depuis deux heures emportée à travers les magasins, par une de ces crises de dépense, dont elle sortait brisée et confuse. Elle avait battu le rayon des meubles qu'une exposition de mobiliers blancs laqués changeait en vaste chambre de jeune fille, les rubans et les fichus dressant des colonnades blanches tendues de vélums blancs, la mercerie et la passementerie aux effilés blancs qui encadraient d'ingénieux trophées patiemment composés de cartes à boutons et de paquets d'aiguilles, la bonneterie où l'on s'étouffait cette année-là, pour voir un motif de décoration immense, le nom resplendissant du Bonheur des dames, des lettres de trois mètres de haut, faites de chaussettes blanches, sur un fond de chaussettes rouges. Mais madame Marty était surtout enfiévrée par les rayons nouveaux ; on ne pouvait ouvrir un rayon sans qu'elle l'inaugurât ; elle s'y précipitait, achetait quand même. Etelle avait passé une heure aux modes, installées dans un salon neuf du premier étage, faisant vider les armoires, prenant les chapeaux sur les champignons de palissandre qui garnissaient deux tables, les essayant tous, à elle et à sa fille, les chapeaux blancs, les capotes blanches, les toques blanches. Puis, elle était redescendue à la cordonnerie, au fond d'une galerie du rez-de-chaussée, derrière les cravates, un comptoir ouvert de ce jour-là, dont elle avait bouleversé les vitrines, prise de désirs maladifs devant les mules de soie blanche garnies de cygne, les souliers et les bottines de satin blanc montés sur de grands talons Louis XV.

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