Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°304)

Chapitre II

Justement, comme il rejoignait Bourdoncle et Robineau, une femme arrivait, qui resta quelques secondes plantée et suffoquée devant l'étalage. C'était Denise. Après avoir hésité près d'une heure dans la rue, en proie à une terrible crise de timidité, elle venait de se décider enfin. Seulement, elle perdait la tête, au point de ne pas comprendre les explications les plus claires ; et les commis auxquels elle demandait en balbutiant madame Aurélie, avaient beau lui indiquer l'escalier de l'entresol, elle remerciait, puis elle tournait à gauche, si on lui avait dit de tourner à droite ; de sorte que, depuis dix minutes, elle battait le rez-de-chaussée, allant de rayon en rayon, au milieu de la curiosité méchante et de l'indifférence maussade des vendeurs. C'était à la fois, en elle, une envie de se sauver et un besoin d'admiration qui la retenait. Elle se sentait perdue, toute petite dans le monstre, dans la machine encore au repos, tremblant d'être prise par le branle dont les murs frémissaient déjà. Et la pensée de la boutique du Vieil Elbeuf, noire et étroite, agrandissait encore pour elle le vaste magasin, le lui montrait doré de lumière, pareil à une ville, avec ses monuments, ses places, ses rues, où il lui semblait impossible qu'elle trouvât jamais sa route.

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