Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°604)

Chapitre III

D'ailleurs, ces dames n'avaient pas lâché les dentelles. Elles s'en grisaient. Les pièces se déroulaient, allaient et revenaient de l'une à l'autre, les rapprochant encore, les liant de fils légers. C'était, sur leurs genoux, la caresse d'un tissu miraculeux de finesse, où leurs mains coupables s'attardaient. Et elles emprisonnaient Mouret plus étroitement, elles l'accablaient de nouvelles questions. Comme le jour continuait de baisser, il devait par moments pencher la tête, effleurer de sa barbe leurs chevelures, pour examiner un point, indiquer un dessin. Mais, dans cette volupté molle du crépuscule, au milieu de l'odeur échauffée de leurs épaules, il demeurait quand même leur maître, sous le ravissement qu'il affectait. Il était femme, elles se sentaient pénétrées et possédées par ce sens délicat qu'il avait de leur être secret, et elles s'abandonnaient, séduites ; tandis que lui, certain dès lors de les avoir à sa merci, apparaissait, trônant brutalement au-dessus d'elles, comme le roi despotique du chiffon.

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