Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°838)

Chapitre IV

Ce fut le comble. Le directeur daignait rire, toutes ces demoiselles éclatèrent. Marguerite risqua un léger gloussement de fille distinguée qui se retient ; Clara avait lâché une vente, pour se faire du bon sang à son aise ; même des vendeuses de la lingerie étaient venues,attirées par la rumeur. Quant à ces dames, elles s'amusaient plus discrètement, d'un air d'intelligence mondaine ; tandis que, seul, le profil impérial de madame Aurélie ne riait pas, comme si les beaux cheveux sauvages et les fines épaules virginales de la débutante l'eussent déshonorée, dans la bonne tenue de son rayon. Denise avait encore pâli, au milieu de tout ce monde qui se moquait. Elle se sentait violentée, mise à nu, sans défense. Quelle était donc sa faute, pour qu'on s'attaquât de la sorte à sa taille trop mince, à son chignon trop lourd ? Mais elle souffrait surtout du rire de Mouret et de madame Desforges, avertie par un instinct de leur entente, le cœur détaillant d'une douleur inconnue ; cette dame était bien mauvaise, de s'en prendre ainsi à une pauvre fille qui ne disait rien ; et lui, décidément, la glaçait d'une peur où tous ses autres sentiments sombraient, sans qu'elle pût les analyser. Alors, dans son abandon de paria, atteinte à ses plus intimes pudeurs de femme et révoltée contre l'injustice, elle étrangla les sanglots qui lui montaient à la gorge.

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