Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°877)

Chapitre V

Maintenant, telle était sa vie. Il lui fallait sourire, faire la brave et la gracieuse, dans une robe de soie qui ne lui appartenait point ; et elle agonisait de fatigue, mal nourrie, mal traitée, sous la continuelle menace d'un renvoi brutal. Sa chambre était son unique refuge, le seul endroit où elle s'abandonnait encore à des crises de larmes, lorsqu'elle avait trop souffert durant le jour. Mais un froid terrible y tombait du zinc de la toiture, couvertedes neiges de décembre ; elle devait se pelotonner dans son lit, jeter tous ses vêtements sur elle, pleurer sous la couverture, pour que la gelée ne lui gerçât pas le visage. Mouret ne lui adressait plus la parole. Quand elle rencontrait le regard sévère de Bourdoncle pendant le service, elle était prise d'un tremblement, car elle sentait en lui un ennemi naturel, qui ne lui pardonnerait pas la plus légère faute. Et, au milieu de cette hostilité générale, l'étrange bienveillance de l'inspecteur Jouve l'étonnait ; s'il la trouvait à l'écart, il lui souriait, cherchait un mot aimable ; deux fois, il lui avait évité des réprimandes, sans qu'elle lui en témoignât de la gratitude, plus troublée que touchée de sa protection.

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