Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°943)

Chapitre V

Avant de se mettre au lit, Denise voulut achever de recoudre son soulier et faire son savonnage. Le froid devenait plus vif, à mesure que la nuit avançait. Mais elle ne le sentait pas, cette causerie avait remué tout le sang de son cœur. Elle n'était point révoltée, il lui semblait bien permis d'arranger son existence comme on l'entendait, lorsqu'on se trouvait seule et libre sur la terre. Jamais elle n'avait obéi à des idées, sa raison droite et sa nature saine la maintenaient simplement dans l'honnêteté où elle vivait. Vers une heure, elle se coucha enfin. Non, elle n'aimait personne. Alors, à quoi bon déranger sa vie, gâter le dévouement maternel qu'elle avait voué à ses deux frères ? Pourtant, elle ne s'endormait pas, des frissons tièdes montaient à sa nuque, l'insomnie faisait passer devant ses paupières closes des formes indistinctes, qui s'évanouissaient dans la nuit.

?>