Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°947)

Chapitre V

Cependant, il y avait peu de place pour les songeries dangereuses, au milieu de son existence de travail. Dans le magasin, sous l'écrasement des treize heures de besogne, on ne pensait guère à des tendresses, entre vendeurs et vendeuses. Si la bataille continuelle de l'argent n'avait effacé les sexes, il aurait suffi, pour tuer le désir, de la bousculade de chaque minute, qui occupait la tête et rompait les membres. A peine pouvait-on citer quelques rares liaisons d'amour, parmi les hostilités et les camaraderies d'homme à femme, les coudoiements sans fin de rayon à rayon. Tous n'étaient plus que des rouages, se trouvaient emportés par le branle de la machine, abdiquant leur personnalité, additionnant simplement leurs forces, dans ce total banal et puissant de phalanstère. Au-dehors seulement, reprenait la vieindividuelle, avec la brusque flambée des passions qui se réveillaient.

?>