Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°948)

Chapitre V

Denise vit pourtant un jour Albert Lhomme, le fils de la première, glisser un billet dans la main d'une demoiselle de la lingerie, après avoir traversé plusieurs fois le rayon, d'un air d'indifférence. On arrivait alors à la morte-saison d'hiver, qui va de décembre à février ; et elle avait des moments de repos, des heures passées debout, les yeux perdus dans les profondeurs du magasin, à attendre les clientes. Les vendeuses des confections voisinaient surtout avec les vendeurs des dentelles, sans que l'intimité forcée allât plus loin que des plaisanteries, échangées tout bas. Il y avait, aux dentelles, un second farceur qui poursuivait Clara de confidences abominables, simplement pour rire, si détaché au fond, qu'il n'essayait seulement pas de la retrouver dehors ; et c'étaient ainsi, d'un comptoir à l'autre, entre ces messieurs et ces demoiselles, des coups d'œil d'intelligence, des mots qu'eux seuls comprenaient, parfois des causeries sournoises, le dos à demi tourné, l'air rêveur, pour donner le change au terrible Bourdoncle. Quant à Deloche, longtemps il se contenta de sourire, en regardant Denise ; puis, il s'enhardit, lui murmura un mot d'amitié, lorsqu'il la coudoya. Le jour où elle aperçut le fils de madame Aurélie donnant un billet à la lingère, Deloche justement lui demandait si elle avait bien déjeuné, par besoin de s'intéresser à elle, et ne trouvant rien de plus aimable. Lui aussi vit la tache blanche de la lettre ; il regarda la jeune fille, tous deux rougirent de cette intrigue nouée devant eux.

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