Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°949)

Chapitre V

Mais Denise, sous ces haleines chaudes qui éveillaient peu à peu la femme en elle, gardait encore sa paix d'enfant. Seule, la rencontre de Hutin lui remuait le cœur. Du reste, ce n'était à ses yeux que de la reconnaissance, elle se croyait uniquement touchée de la politesse du jeune homme. Il ne pouvait amener une cliente au rayon, sans qu'elle demeurât confuse. Plusieurs fois, en revenant d'une caisse, elle se surprit faisant un détour, traversant inutilement le comptoir des soieries, la gorge gonflée d'émotion. Un après-midi, elle y trouva Mouret qui semblait la suivre d'un sourire. Il ne s'occupait plus d'elle, ne lui adressait de loin en loin une parole que pour la conseiller sur sa toilette et la plaisanter, en fille manquée, en sauvage qui tenait du garçon et dont il ne tirerait jamais une coquette, malgré sa science d'homme à bonnes fortunes ; même il en riait, il descendait jusqu'à des taquineries, sans vouloir s'avouer le trouble que lui causait cette petite vendeuse, avec ses cheveux si drôles. Devant ce sourire muet, Denise trembla, comme si elle était en faute. Savait-il donc pourquoi elle traversait la soierie, lorsqu'elle-même n'aurait pu expliquer ce qui la poussait à un pareil détour ?

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