Au Bonheur des dames

Au Bonheur des dames (paragraphe n°967)

Chapitre V

Tout fut réglé. Baugé devait venir prendre ces demoiselles à huit heures, sur la place Gaillon ; de là, on irait en fiacre à la gare de Vincennes. Denise, dont les vingt-cinq francs d'appointements fixes étaient chaque mois dévorés par les enfants, n'avait pu que rafraîchir sa vieille robe de laine noire, en la garnissant de biais de popeline à petit carreaux ; et elle s'était fait elle-même un chapeau, avec une forme de capote recouverte de soie et ornée d'un ruban bleu. Dans cette simplicité, elle avait l'air très jeune, un air de fille grandie trop vite, d'une propreté de pauvre, un peu honteuse et embarrassée du luxe débordant de ses cheveux, qui crevaient la nudité de son chapeau. Au contraire, Pauline étalait une robe de soie printanière, à raies violettes et blanches, une toque appareillée, chargée de plumes, des bijoux au cou et aux mains, toute une richesse de commerçante cossue. C'était comme une revanche de la semaine, de la soie le dimanche, lorsqu'elle se trouvait condamnée à la laine dans son rayon ; tandis que Denise, qui traînait sa soie d'uniforme du lundi au samedi, reprenait le dimanche la laine mince de sa misère.

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