L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1162)

Chapitre VII

Encore un instant, elle regarda les images de sainteté, qu'elle tenait toujours, avec son sourire douloureux d'incrédule, tout ému de tendresse. Mais elle ne les voyait plus, elle reconstruisait ce que Saccard avait pu faire la veille, ce qu'il faisait ce jour-là même, par un travail involontaire et incessant de son esprit, qui retournait d'instinct à cet espionnage, dès qu'elle ne l'occupait plus. Saccard, d'ailleurs, semblait mener sa vie accoutumée, lematin les tracas de sa direction, l'après-midi la Bourse, le soir les invitations à dîner, les premières représentations, une vie de plaisirs, des filles de théâtre dont elle n'était point jalouse. Et, cependant, elle sentait bien un nouvel intérêt en lui, une chose qui lui prenait des heures occupées auparavant d'une autre façon, sans doute cette femme, des rendez-vous dans quelque endroit qu'elle se défendait de connaître. Cela la rendait soupçonneuse et méfiante, elle se remettait malgré elle à " faire le gendarme ", comme disait son frère en riant, même au sujet des affaires de l'Universelle, qu'elle avait cessé de surveiller, tant sa confiance un moment était devenue grande. Des irrégularités la frappaient et la chagrinaient. Puis, elle était toute surprise de s'en moquer au fond, de ne pas trouver la force de parler ni d'agir, tellement une seule angoisse la tenait au cœur, cette trahison qu'elle aurait voulu accepter, qui l'étouffait. Et, honteuse de sentir les larmes la gagner de nouveau, elle cacha les images avec le mortel regret de ne pouvoir aller s'agenouiller et se soulager dans une église, en pleurant pendant des heures toutes les larmes de son corps.

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