L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1286)

Chapitre VII

Seule, madame Caroline ne bougea pas. Elle demeurait anéantie sur sa chaise, dans la vaste pièce tombée à un lourd silence, regardant fixement la lampe, de ses yeux élargis. C'était comme un brusque déchirement du voile : ce qu'elle n'avait pas voulu distinguer nettement jusque-là, ce qu'elle ne faisait que soupçonner en tremblant, elle le voyait à cette heure dans sa crudité affreuse, sans complaisance possible. Elle voyait Saccard à nu, cette âme dévastée d'un homme d'argent, compliquée et trouble dans sa décomposition. Il était en effet sans liens ni barrières, allant à ses appétits avec l'instinct déchaîné de l'homme qui ne connaît d'autre borne que son impuissance. Il avait partagé sa femme avec son fils, vendu son fils, vendu sa femme, vendu tous ceux qui lui étaient tombés sous la main ; il s'était vendu lui-même, et il la vendrait elle aussi, il vendrait son frère, battrait monnaie avec leurs cœurs et leurs cerveaux. Ce n'était plus qu'un faiseur d'argent, qui jetait à la fonte les choses et les êtres pour en tirer de l'argent. Dans une brève lucidité, elle vit l'Universelle suer l'argent de toutes parts, un lac, un océan d'argent, au milieu duquel, avec un craquement effroyable, tout d'un coup, la maison coulait à pic. Ah ! l'argent, l'horrible argent, qui salit et dévore !

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