L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1289)

Chapitre VII

Hamelin, justement, était dans un de ses jours de gaieté. Il remerciait sa sœur des dernières bonnes nouvelles qu'elle lui avait adressées de Paris, et il lui envoyait des nouvelles meilleures encore de là-bas, car tout y marchait à souhait. Le premier bilan de la Compagnie générale des Paquebots réunis s'annonçait superbe, les nouveaux transports à vapeur réalisaient de grosses recettes, grâce à leur installation parfaite et à leur vitesse plus grande. En plaisantant, il disait qu'on y voyageait pour le plaisir, et il montrait les ports de la côte envahis par le monde de l'Occident, il racontait qu'il ne pouvait faire une course à travers les sentiers perdus, sans se trouver nez à nez avec quelque Parisien du boulevard. C'était réellement, comme il l'avait prévu, l'Orient ouvert à la France. Bientôt, des villes repousseraient aux flancs fertiles du Liban. Mais, surtout, il faisait une peinture très vive de la gorge écartée du Carmel, où la mine d'argent était en pleine exploitation. Le site sauvage s'humanisait, on avait découvert des sources dans l'écroulement gigantesque de rochers qui bouchait le vallon au nord ; et des champs se créaient, le blé remplaçait les lentisques, tandis que tout un village déjà s'était bâti près de la mine,d'abord de simples cabanes de bois, un baraquement pour abriter les ouvriers, maintenant de petites maisons de pierre avec des jardins, un commencement de cité qui allait grandir, tant que les filons ne s'épuiseraient pas. Il y avait là près de cinq cents habitants, une route venait d'être achevée, qui reliait le village à Saint-Jean-d'Acre. Du matin au soir, les machines d'extraction ronflaient, des chariots s'ébranlaient au claquement des fouets sonores, des femmes chantaient, des enfants jouaient et criaient, dans ce désert, dans ce silence de mort où seuls les aigles autrefois mettaient le bruit lent de leurs ailes. Et les myrtes et les genêts embaumaient toujours l'air tiède, d'une délicieuse pureté. Enfin, Hamelin ne tarissait pas sur la première ligne ferrée qu'il devait ouvrir, de Brousse à Beyrouth, par Angora et Alep. Toutes les formalités étaient terminées à Constantinople ; certaines modifications heureuses qu'il avait fait subir au tracé, pour le passage difficile des cols du Taurus, l'enchantaient ; et il parlait de ces cols, des plaines qui s'étendaient au pied des montagnes, avec le ravissement d'un homme de science qui y avait trouvé de nouvelles mines de charbon et qui croyait voir le pays se couvrir d'usines. Ses points de repère étaient posés, les emplacements des stations choisis, quelques-uns en pleine solitude : une ville ici, une ville plus loin, des villes naîtraient autour de chacune de ces stations, au croisement des routes naturelles. Déjà la moisson des hommes et des grandes choses futures était semée, tout germait, ce serait avant quelques années un monde nouveau. Et il finissait en embrassant bien tendrement sa sœur adorée, heureux de l'associer à cette résurrection d'un peuple, lui disant qu'elle y serait pour beaucoup, ellequi depuis si longtemps l'aidait de sa bravoure et de sa belle santé.

?>