L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1747)

Chapitre X

D'un geste, il avait montré Saccard, qui venait d'arriver et qui s'installait à sa place habituelle, contre le pilier de la première arcade de gauche. Comme tous leschefs de maison importante, il avait ainsi une place connue, où les employés et les clients étaient certains de le trouver, les jours de Bourse. Gundermann seul affectait de ne jamais mettre les pieds dans la grande salle ; il n'y envoyait même pas un représentant officiel ; mais on y sentait une armée à lui, il y régnait en maître absent et souverain, par la légion innombrable des remisiers, des agents qui apportaient ses ordres, sans compter ses créatures, si nombreuses, que tout homme présent était peut-être le mystérieux soldat de Gundermann. Et c'était contre cette armée insaisissable et partout agissante que luttait Saccard, en personne, à front découvert. Derrière lui, dans l'angle du pilier, il y avait un banc, mais il ne s'y asseyait jamais, debout pendant les deux heures du marché, comme dédaigneux de la fatigue. Parfois, aux minutes d'abandon, il s'appuyait simplement du coude à la pierre, que la salissure de tous les contacts, à hauteur d'homme, avait noircie et polie ; et, dans la nudité blafarde du monument, il y avait même là un détail caractéristique, cette bande de crasse luisante, contre les portes, contre les murs, dans les escaliers, dans la salle, un soubassement immonde, la sueur accumulée des générations de joueurs et de voleurs. Très élégant, très correct, ainsi que tous les boursiers, avec son drap fin et son linge éblouissant, Saccard avait la mine aimable et reposée d'un homme sans préoccupations, au milieu de ces murs bordés de noir.

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