L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1907)

Chapitre X

Saccard, alors, d'un pas raffermi, s'en alla. Tout son être lui semblait vide ; mais, par un effort de volonté extraordinaire, il s'avançait solide et droit. Ses sens seulement s'étaient comme émoussés, il n'avait plus la sensation du sol, il croyait marcher sur un tapis de haute laine. De même, une brume noyait ses yeux, une clameur faisait bourdonner ses oreilles. Tandis qu'il sortait de laBourse et qu'il descendait le perron, il ne reconnaissait plus les gens, c'étaient des fantômes flottants qui l'entouraient, des formes vagues, des sons perdus. N'avait-il pas vu passer la large face grimaçante de Busch ? Ne s'était-il pas arrêté un instant pour causer avec Nathansohn, très à l'aise, et dont la voix affaiblie lui paraissait venir de loin ? Sabatani et Massias ne l'accompagnaient-ils pas, au milieu de la consternation générale ? Il se revoyait entouré d'un groupe nombreux, peut-être Sédille et Maugendre encore, toutes sortes de figures qui s'effaçaient, se transformaient. Et, comme il allait s'éloigner, se perdre dans la pluie, dans la boue liquide dont Paris était submergé, il répéta d'une voix aiguë à tout ce monde fantomatique, mettant sa gloire dernière à montrer sa liberté d'esprit :

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