L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1911)

Chapitre XI

Silencieuse, madame Caroline écouta, évitant d'intervenir. Elle était pleine de remords, car elle s'accusait de complicité, puisque c'était elle qui, après s'être promis de veiller, avait laissé tout faire. Au lieu de se contenter de vendre ses titres, simplement, afin d'entraver la hausse, n'aurait-elle pas dû trouver autre chose, prévenir les gens, agir enfin ? Dans son adoration pour son frère, son cœur saignait, à le voir ainsi compromis, au milieu de ses grands travaux ébranlés, de toute l'œuvre de sa vie remise en question ; et elle souffrait d'autant plus, qu'elle ne se sentait pas libre de juger Saccard : ne l'avait-elle pas aimé, n'était-elle pas à lui, de ce lien secret, dont elle sentait davantage lahonte ? C'était, placée ainsi entre ces deux hommes, tout un combat qui la déchirait. Le soir de la catastrophe, elle avait accablé Saccard, dans un bel emportement de franchise, vidant son cœur de ce qu'elle y amassait depuis longtemps de reproches et de craintes. Puis, en le voyant sourire, tenace, invaincu quand même, en songeant à la force dont il avait besoin pour rester debout, elle s'était dit qu'elle n'avait pas le droit, après s'être montrée faible avec lui, de l'achever, de le frapper ainsi à terre. Et, réfugiée dans le silence, apportant seulement le blâme de son attitude, elle ne voulait être qu'un témoin.

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