L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1992)

Chapitre XI

Mais les chiffres restaient vagues, madame Caroline ne pouvait arriver à une appréciation exacte des gains, car les opérations de Bourse se font en plein mystère, et le secret professionnel est strictement gardé par les agents de change. Même on n'aurait rien su en dépouillant les carnets, où les noms ne sont pas inscrits. Ainsi elle tenta en vain de connaître la somme qu'avait dû emporter Sabatani, disparu à la suite de la dernière liquidation. Encore une ruine, de ce côté, qui atteignait durement Mazaud. C'était la commune histoire : le client louche accueilli d'abord avec défiance, déposant une petite couverture de deux ou trois mille francs, jouant sagement pendant les premiers mois, jusqu'au jour où, la médiocrité de la garantie oubliée, devenu l'ami de l'agent de change, il prenait la fuite, au lendemain de quelque tour de brigand. Mazaud parlait d'exécuter Sabatani, ainsi qu'il avait jadis exécuté Schlosser, un filou de la même bande, de l'éternelle bande qui exploite le marché, comme les voleurs d'autrefois exploitaient une forêt. Et leLevantin, cet Italien mâtiné d'Oriental, aux yeux de velours, qu'une légende douait d'un phénomène dont chuchotaient les femmes curieuses, était allé écumer la Bourse de quelque capitale étrangère, Berlin, disait-on, en attendant qu'on l'oubliât à celle de Paris, et qu'il y revint, de nouveau salué, prêt à recommencer son coup, au milieu de la tolérance générale.

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