L'Argent

L'Argent (paragraphe n°1995)

Chapitre XI

Quelle étrange chose que la chance ! songeait madame Caroline, en traversant la place de la Bourse. L'extraordinaire succès de l'Universelle, cette montée rapide dans le triomphe, dans la conquête et la domination, en moins de quatre années, puis cet écroulement brusque, ce colossal édifice qu'un mois avait suffi pour réduire en poudre, la stupéfiaient toujours. Et n'était-ce pas là aussi l'histoire de Mazaud ? Certes, jamais homme n'avait vu la destinée lui sourire à ce point. Agent de change à trente-deux ans, très riche déjà par la mort de son oncle, heureux mari d'une femme charmante qui l'adorait, qui lui avait donné deux beaux enfants, il était en outre joli homme, il prenait chaque jour à la corbeille une place plus considérable, par ses relations, son activité, son flair vraiment surprenant, sa voix aiguë même, cette voix de fifre qui devenait aussi célèbre que le tonnerre de Jacoby. Et, soudainement, voilà que la situation craquait, il se trouvait au bord de l'abîme, où il suffisait d'un souffle maintenant pour lejeter. Lui, n'avait pas joué pourtant, protégé encore par sa flamme au travail, sa jeunesse inquiète. Il était frappé en pleine lutte loyale, par inexpérience et passion, pour avoir trop cru aux autres. D'ailleurs, les sympathies restaient vives, on prétendait qu'il pourrait s'en tirer, avec beaucoup d'aplomb.

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