L'Argent

L'Argent (paragraphe n°302)

Chapitre II

Pendant quinze jours, madame Caroline resta ainsi affreusement triste. La force de vivre, cette impulsion qui fait de la vie une nécessité et une joie, l'avait abandonnée. Elle vaquait à ses occupations si multiples, mais comme absente, sans s'illusionner même sur la raison et l'intérêt des choses. C'était la machine humaine travaillant dans le désespoir du néant de tout. Et, au milieu de ce naufrage de sa bravoure et de sa gaieté, elle ne goûtait qu'une distraction, celle de passer toutes ses heures libres le front aux vitres d'une fenêtre du grand cabinet de travail, les regards fixés sur le jardin de l'hôtel voisin, cet hôtel Beauvilliers, où, depuis les premiers jours de son installation, elle devinait une détresse, une de ces misères cachées, si navrantes dans leur effort à sauvegarder les apparences. Il y avait là aussi des êtres qui souffraient, et son chagrin était comme trempé de ces larmes, elle agonisait de mélancolie, jusqu'à se croire insensible et morte dans la douleur des autres.

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