L'Argent

L'Argent (paragraphe n°305)

Chapitre II

Cependant, jusque-là, madame Caroline n'avait point eu l'occasion de parler à la comtesse et à sa fille. Elle finissait par connaître les détails les plus intimes de leur vie, ceux qu'elles croyaient cacher au monde entier, et il n'y avait eu encore entre elles que des échanges de regards, ces regards qui se tournent dans une brusque sensation de sympathie, derrière soi. La princesse d'Orviedo devait les rapprocher. Elle avait eu l'idée de créer, pour son œuvre du Travail, une sorte de commission de surveillance, composée de dix dames, qui se réunissaient deux fois par mois, visitaient l'œuvre en détail, contrôlaient tous les services. Comme elle s'était réservé de choisir elle-même ces dames, elle avait désigné parmi les premières madame de Beauvilliers, une de ses grandes amies d'autrefois, devenue simplement sa voisine, aujourd'hui qu'elle s'était retirée du monde. Et il était arrivé que, la commission de surveillance ayant brusquement perdu son secrétaire, Saccard, qui gardait la haute main dans l'administration de l'établissement,venait d'avoir l'idée de recommander madame Caroline, comme un secrétaire modèle, qu'on ne trouverait nulle part : en effet, la besogne était assez pénible, il y avait beaucoup d'écritures, même des soins matériels qui répugnaient un peu à ces dames ; et, dès le début, madame Caroline s'était révélée une hospitalière admirable, que sa maternité inassouvie, son amour désespéré des enfants, enflammait d'une tendresse active pour tous ces pauvres êtres, qu'on tâchait de sauver du ruisseau parisien. Donc, à la dernière séance de la commission, elle s'était rencontrée avec la comtesse de Beauvillers ; mais celle-ci ne lui avait adressé qu'un salut un peu froid, cachant sa secrète gêne, ayant sans doute la sensation qu'elle avait en elle un témoin de sa misère. Toutes deux, maintenant, se saluaient, chaque fois que leurs yeux se rencontraient et qu'il y aurait eu une trop grosse impolitesse à feindre de ne pas se reconnaître.

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