L'Argent

L'Argent (paragraphe n°312)

Chapitre II

Dieu sait pourtant, continua-t-elle, si j'ai eu lieu de désespérer de tout. Ah ! la chance ne m'a pas gâtée jusqu'ici... Après mon mariage, dans l'enfer où je suis tombée, injuriée, battue, j'ai bien cru qu'il ne me restait qu'à me jeter à l'eau. Je ne m'y suis pas jetée, j'étais vibrante d'allégresse, gonflée d'un espoir immense, quinze jours après, quand je suis partie avec mon frère pour l'Orient... Et, lors de notre retour à Paris, lorsquetout a failli nous manquer, j'ai eu des nuits abominables, où je nous voyais mourant de faim sur nos beaux projets. Nous ne sommes pas morts, je me suis remise à rêver des choses énormes, des choses heureuses qui me faisaient rire parfois toute seule... Et, dernièrement, quand j'ai reçu ce coup affreux dont je n'ose parler encore, mon cœur a été comme déraciné ; oui, je l'ai positivement senti qui ne battait plus ; je l'ai cru fini, je me suis crue finie, anéantie moi-même. Puis, pas du tout ! voici que l'existence me reprend, je ris aujourd'hui, demain j'espérerai, je voudrai vivre encore, vivre toujours... Est-ce extraordinaire, de ne pas pouvoir être triste longtemps !

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