L'Argent

L'Argent (paragraphe n°524)

Chapitre III

Dans le fumoir où le valet le laissa, en disant que monsieur n'était pas rentré encore, Saccard marcha à petits pas, regardant les tableaux. Mais une voix de femme superbe, un contralto d'une puissancemélancolique et profonde, s'étant élevée dans le silence de l'hôtel, il s'approcha de la fenêtre restée ouverte, pour écouter : c'était madame qui répétait, au piano, un morceau qu'elle devait sans doute chanter le soir, dans quelque salon. Puis, bercé par cette musique, il en vint à songer aux histoires extraordinaires que l'on contait de Daigremont : l'histoire de l'Hadamantine surtout, cet emprunt de cinquante millions dont il avait gardé en main le stock entier, le faisant vendre et revendre cinq fois par des courtiers à lui, jusqu'à ce qu'il eût créé un marché, établi un prix ; puis, la vente sérieuse, la dégringolade fatale de trois cents francs à quinze francs, les bénéfices énormes sur tout un petit monde de naïfs, ruinés du coup. Ah ! il était fort, un terrible monsieur ! La voix de madame continuait, exhalant une plainte de tendresse, éperdue, d'une ampleur tragique ; tandis que Saccard, revenu au milieu de la pièce, s'était arrêté devant un Meissonier, qu'il estimait cent mille francs.

?>