L'Argent

L'Argent (paragraphe n°558)

Chapitre IV

Enfin, une semaine après cette tentative avortée, Saccard eut la joie de voir l'affaire, si empêtrée d'obstacles, se bâcler brusquement, en quelques jours. Daigremont vint un matin lui dire qu'il avait toutes lesadhésions, qu'on pouvait marcher. Dès lors, on étudia une dernière fois le projet des statuts, on rédigea l'acte de société. Et il était grand temps aussi pour les Hamelin, à qui la vie commençait à redevenir dure. Lui, depuis des années, n'avait qu'un rêve, être l'ingénieur conseil d'une grande maison de crédit comme il le disait, il se chargeait d'amener l'eau au moulin. Aussi, peu à peu, la fièvre de Saccard l'avait-elle gagné, brûlant du même zèle et de la même impatience. Au contraire, madame Caroline, après s'être enthousiasmée à l'idée des belles et utiles choses qu'on allait accomplir, semblait plus froide, l'air songeur, depuis qu'on entrait dans les broussailles et les fondrières de l'exécution. Son grand bon sens, sa nature droite flairaient toutes sortes de trous obscurs et malpropres ; et elle tremblait surtout pour son frère, qu'elle adorait, qu'elle traitait parfois en riant de " grosse bête ", malgré sa science ; non qu'elle soupçonnât le moins du monde l'honnêteté parfaite de leur ami, qu'elle voyait si dévoué à leur fortune ; mais elle avait une singulière sensation de terrain mouvant, une inquiétude de chute et d'engloutissement, au premier faux pas.

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