L'Argent

L'Argent (paragraphe n°774)

Chapitre V

D'autre part, si Busch avait tant tardé, c'était qu'il venait de passer des semaines d'affreuse inquiétude, près de son frère Sigismond, couché, terrassé par la phtisie. Pendant quinze jours surtout, ce terrible remueur d'affaires avait tout négligé, tout oublié des mille pistes enchevêtrées qu'il suivait, ne paraissant plus à la Bourse,ne traquant plus un créancier, ne quittant pas le chevet du malade, qu'il veillait, soignait, changeait, comme une mère. Devenu prodigue, lui d'une ladrerie immonde, il appelait les premiers médecins de Paris, aurait voulu payer les remèdes plus cher au pharmacien, pour qu'ils fussent plus efficaces ; et, comme les médecins avaient défendu tout travail, et que Sigismond s'entêtait, il lui cachait ses papiers, ses livres. Entre eux, c'était devenu une guerre de ruses. Dès que, vaincu par la fatigue, son gardien s'endormait, le jeune homme, trempé de sueur, dévoré de fièvre, retrouvait un bout de crayon, une marge de journal, se remettait à des calculs, distribuant la richesse selon son rêve de justice, assurant à chacun sa part de bonheur et de vie. Et Busch, à son réveil, s'irritait de le voir, plus malade, le cœur crevé de ce qu'il donnait ainsi à sa chimère le peu qu'il lui restait d'existence. Faire joujou avec ces bêtises-là, il le lui permettait, comme on permet des pantins à un enfant, lorsqu'il était en bonne santé ; mais s'assassiner avec des idées folles, impraticables, vraiment c'était imbécile ! Enfin, ayant consenti à être sage, par affection pour son grand frère, Sigismond avait repris quelque force, et il commençait à se lever.

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