L'Argent

L'Argent (paragraphe n°943)

Chapitre V

Des mois se passèrent, et il faut dire que madame Caroline trouva Saccard très énergique et très prudent, durant tous ces pénibles débuts de la Banque Universelle. Ses soupçons de trafics louches, ses craintes qu'il ne les compromît, elle et son frère, se dissipèrent même entièrement, à le voir sans cesse en lutte avec les difficultés, se dépensant du matin au soir pour assurer le bon fonctionnement de cette grosse mécanique neuve, dont les rouages grinçaient, près d'éclater ; et elle lui en eut de la reconnaissance, elle l'admira. L'Universelle, en effet, ne marchait pas comme il l'avait espéré, car elleavait contre elle la sourde hostilité de la haute banque : de mauvais bruits couraient, des obstacles renaissaient, immobilisant le capital, ne permettant pas les grandes tentatives fructueuses. Aussi s'était-il fait une vertu de cette lenteur d'allures, à laquelle on le réduisait, n'avançant que pas à pas sur un terrain solide, guettant les fondrières, trop occupé à éviter une chute pour oser se lancer dans les hasards du jeu. Il se rongeait d'impatience, piétinant comme une bête de course réduite à un petit trot de promenade ; mais jamais commencements d'une maison de crédit ne furent plus honorables ni plus corrects ; et la Bourse en causait, étonnée.

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