L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°1001)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre VII

Depuis quinze jours, c'était le rêve des Coupeau : écraser les Lorilleux. Est-ce que ces sournois, l'homme et la femme, une jolie paire vraiment, ne s'enfermaient pas quand ils mangeaient un bon morceau, comme s'ilsl'avaient volé ? Oui, ils bouchaient la fenêtre avec une couverture pour cacher la lumière et faire croire qu'ils dormaient. Naturellement, ça empêchait les gens de monter ; et ils bâfraient seuls, ils se dépêchaient de s'empiffrer, sans lâcher un mot tout haut. Même, le lendemain, ils se gardaient de jeter leurs os sur les ordures, parce qu'on aurait su alors ce qu'ils avaient mangé ; madame Lorilleux allait, au bout de la rue, les lancer dans une bouche d'égout ; un matin, Gervaise l'avait surprise vidant là son panier plein d'écailles d'huîtres. Ah ! non, pour sûr, ces rapiats n'étaient pas larges des épaules, et toutes ces manigances venaient de leur rage à vouloir paraître pauvres. Eh bien ! on leur donnerait une leçon, on leur prouverait qu'on n'était pas chien. Gervaise aurait mis sa table au travers de la rue, si elle avait pu, histoire d'inviter chaque passant. L'argent, n'est-ce pas ? n'a pas été inventé pour moisir. Il est joli, quand il luit tout neuf au soleil. Elle leur ressemblait si peu maintenant, que, les jours où elle avait vingt sous, elle s'arrangeait de façon à laisser croire qu'elle en avait quarante.

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