L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°1422)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre VIII

Lantier, le soir, voyant la blanchisseuse ennuyée, lui proposa de la conduire au café-concert, histoire de passer un moment agréable. Elle refusa d'abord, elle n'était pas en train de rire. Sans cela, elle n'aurait pas dit non, car le chapelier lui faisait son offre d'un air trop honnête pour qu'elle se méfiât de quelque traîtrise. Il semblait s'intéresser à son malheur et se montrait vraiment paternel. Jamais Coupeau n'avait découché deux nuits. Aussi, malgré elle, toutes les dix minutes, venait-elle se planter sur la porte, sans lâcher son fer, regardant aux deux bouts de la rue si son homme n'arrivait pas. Ça la tenait dans les jambes, à ce qu'elle disait, des picotements qui l'empêchaient de rester en place. Bien sûr, Coupeau pouvait se démolir un membre, tomber sous une voiture et y rester, elle serait joliment débarrassée, elle se défendait de garder dans le cœur la moindre amitié pour un sale personnage de cette espèce. Mais, à la fin, c'était agaçant de toujours se demander s'il rentrerait ou s'il ne rentrerait pas. Et, lorsqu'on alluma le gaz, comme Lantier lui parlait de nouveau du café-concert, elle accepta.Après tout, elle se trouvait trop bête de refuser un plaisir, lorsque son mari, depuis trois jours, menait une vie de polichinelle. Puisqu'il ne rentrait pas, elle aussi allait sortir. La cambuse brûlerait, si elle voulait. Elle aurait fichu en personne le feu au bazar, tant l'embêtement de la vie commençait à lui monter au nez.

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