L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°2047)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre XII

Pourtant, pas un chat ne sortait de chez le patron. Enfin, un ouvrier parut, puis deux, puis trois ; mais ceux-là, sans doute, étaient de bons zigs, qui rapportaient fidèlement leur prêt, car ils eurent un hochement de tête en apercevant les ombres rôdant devant l'atelier. Lagrande haridelle se collait davantage à côté de la porte ; et, tout d'un coup, elle tomba sur un petit homme pâlot, en train d'allonger prudemment la tête. Oh ! ce fut vite réglé ! elle le fouilla, lui ratissa la monnaie. Pincé, plus de braise, pas de quoi boire une goutte ! Alors, le petit homme, vexé et désespéré, suivit son gendarme en pleurant de grosses larmes d'enfant. Des ouvriers sortaient toujours, et comme la forte commère, avec ses deux mioches, s'était approchée, un grand brun, l'air roublard, qui l'aperçut, rentra vivement pour prévenir le mari ; lorsque celui-ci arriva en se dandinant, il avait étouffé deux roues de derrière, deux belles pièces de cent sous neuves, une dans chaque soulier. Il prit l'un de ses gosses sur son bras, il s'en alla en contant des craques à sa bourgeoise qui le querellait. Il y en avait de rigolos, sautant d'un bond dans la rue, pressés de courir béquiller leur quinzaine avec les amis. Il y en avait aussi de lugubres, la mine rafalée, serrant dans leur poing crispé les trois ou quatre journées sur quinze qu'ils avaient faites, se traitant de feignants et faisant des serments d'ivrogne. Mais le plus triste, c'était la douleur de la petite femme noire, humble et délicate : son homme, un beau garçon, venait de se cavaler sous son nez, si brutalement, qu'il avait failli la jeter par terre ; et elle rentrait seule, chancelant le long des boutiques, pleurant toutes les larmes de son corps.

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