L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°229)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre I

Derrière elle, le lavoir reprenait son bruit énorme d'écluse. Les laveuses avaient mangé leur pain, bu leur vin, et elles tapaient plus dur, les faces allumées, égayées par le coup de torchon de Gervaise et de Virginie. Le long des baquets, de nouveau, s'agitaient une fureur de bras, des profils anguleux de marionnettes aux reins cassés, aux épaules déjetées, se pliant violemment comme sur des charnières. Les conversationscontinuaient d'un bout à l'autre des allées. Les voix, les rires, les mots gras, se mêlaient dans le grand gargouillement de l'eau. Les robinets crachaient, les seaux jetaient des flaquées, une rivière coulait sous les batteries. C'était le chien de l'après-midi, le linge pilé à coups de battoir. Dans l'immense salle, les fumées devenaient rousses, trouées seulement par des ronds de soleil, des balles d'or, que les déchirures des rideaux laissaient passer. On respirait l'étouffement tiède des odeurs savonneuses. Tout d'un coup, le hangar s'emplit d'une buée blanche ; l'énorme couvercle du cuvier où bouillait la lessive, montait mécaniquement le long d'une tige centrale à crémaillère ; et le trou béant du cuivre, au fond de sa maçonnerie de briques, exhalait des tourbillons de vapeur, d'une saveur sucrée de potasse. Cependant, à côté, les essoreuses fonctionnaient ; des paquets de linge, dans des cylindres de fonte, rendaient leur eau sous un tour de roue de la machine, haletante, fumante, secouant plus rudement le lavoir de la besogne continue de ses bras d'acier.

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