L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°447)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre III

La noce, débouchant de la rue Saint-Denis, traversa le boulevard. Elle attendit un moment, devant le flot des voitures ; puis, elle se risqua sur la chaussée, changée par l'orage en une mare de boue coulante. L'ondée reprenait, la noce venait d'ouvrir les parapluies ; et, sous les riflards lamentables, balancés à la main des hommes, les femmes se retroussaient, le défilé s'espaçait dans la crotte, tenant d'un trottoir à l'autre. Alors, deux voyous crièrent à la chienlit ; des promeneurs accoururent ; des boutiquiers, l'air amusé, se haussèrent derrière leurs vitrines. Au milieu du grouillement de la foule, sur les fonds gris et mouillés du boulevard, les couples en procession mettaient des taches violentes, la robe gros bleu de Gervaise, la robe écrue à fleurs imprimées de madame Fauconnier, le pantalon jaune canari de Boche ; une raideur de gens endimanchés donnait des drôleries de carnaval à la redingote luisante de Coupeau et à l'habit carré de monsieur Madinier ; tandis que la belle toilette de madame Lorilleux, les effilés de madame Lerat, les jupes fripées de mademoiselle Remanjou, mêlaient les modes, traînaient à la file les décrochez-moi-ça du luxe des pauvres. Mais c'étaient surtout les chapeaux des messieurs qui égayaient, de vieux chapeaux conservés,ternis par l'obscurité de l'armoire, avec des formes pleines de comique, hautes, évasées, en pointe, des ailes extraordinaires, retroussées, plates, trop larges ou trop étroites. Et les sourires augmentaient encore, quand, tout au bout, pour clore le spectacle, madame Gaudron, la cardeuse, s'avançait dans sa robe d'un violet cru, avec son ventre de femme enceinte, qu'elle portait énorme, très en avant. La noce, cependant, ne hâtait point sa marche, bonne enfant, heureuse d'être regardée, s'amusant des plaisanteries.

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