L'Assommoir

L'Assommoir (paragraphe n°902)

Partie : Préface de l'auteur, chapitre VI

Ce fut là le point de départ d'une grande amitié. Huit jours plus tard, Virginie ne passait plus devant la boutique de Gervaise sans entrer ; et elle y taillait des bavettes de deux et trois heures, si bien que Poisson, inquiet, la croyant écrasée, venait la chercher, avec sa figure muette de déterré. Gervaise, à voir ainsi journellement la couturière, éprouva bientôt une singulière préoccupation ; elle ne pouvait lui entendre commencer une phrase, sans croire qu'elle allait causer de Lantier ; elle songeait invinciblement à Lantier, tout le temps qu'elle restait là. C'était bête comme tout, car enfin elle se moquait de Lantier, et d'Adèle, et de ce qu'ils étaient devenus l'un et l'autre ; jamais elle ne posait une question ; même elle ne se sentait pas curieuse d'avoir de leurs nouvelles. Non, ça la prenait en dehors de sa volonté. Elle avait leur idée dans la tête comme on a dansla bouche un refrain embêtant, qui ne veut pas vous lâcher. D'ailleurs, elle n'en gardait nulle rancune à Virginie, dont ce n'était point la faute, bien sûr. Elle se plaisait beaucoup avec elle, et la retenait dix fois avant de la laisser partir.

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