L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1022)

Chapitre VI

L'accouchement eut lieu vers le milieu de février. Une sage-femme était venue de Vernon, tout marcha très bien : la mère fut sur pied au bout de trois semaines, l'enfant, un garçon, très fort, tétait si goulûment, qu'elle devait se lever jusqu'à cinq fois la nuit, pour l'empêcher de crier et de réveiller son père. Dès lors, le petit être révolutionna la maison, car elle, si active ménagère, se montra nourrice très maladroite. La maternité ne poussait pas en elle, malgré son bon cœur et ses désolations au moindre bobo ; elle se lassait, se rebutait tout de suite, appelait Mélie, qui aggravait les embarras par sa stupidité béante ; et il fallait que le père accourût l'aider, plus gêné encore que les deux femmes. Son ancien malaise à coudre, son inaptitude aux travaux de son sexe,reparaissait dans les soins que réclamait l'enfant. Il fut assez mal tenu, il s'éleva un peu à l'aventure, au travers du jardin et des pièces laissées en désordre de désespoir, encombrées de langes, de jouets cassés, de l'ordure et du massacre d'un petit monsieur qui fait ses dents. Et, quand les choses se gâtaient par trop, elle ne savait que se jeter aux bras de son cher amour : c'était son refuge, cette poitrine de l'homme qu'elle aimait, l'unique source de l'oubli et du bonheur. Elle n'était qu'amante, elle aurait donné vingt fois le fils pour l'époux. Une ardeur même l'avait reprise après la délivrance, une sève remontante d'amoureuse qui se retrouve, avec sa taille libre, sa beauté refleurie. Jamais sa chair de passion ne s'était offerte dans un tel frisson de désir.

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