L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1024)

Chapitre VI

Et, après Christine, ce fut Jacques qui dut poser. On le mettait nu comme un petit Saint-Jean, on le couchait, par les journées chaudes, sur une couverture ; et il ne fallait plus qu'il bougeât. Mais c'était le diable. Egayé, chatouillé par le soleil, il riait et gigotait, ses petits pieds roses en l'air, se roulant, culbutant, le derrière par-dessus la tête. Le père, après avoir ri, se fâchait, jurait contre ce sacré mioche qui ne pouvait pas être sérieux une minute. Est-ce qu'on plaisantait avec la peinture ? Alors, la mère, à son tour, faisait les gros yeux, maintenait le petit pour que le peintre attrapât au vol le dessin d'un bras ou d'une jambe. Pendant des semaines, il s'obstina, tellement les tons si jolis de cette chair d'enfance le tentaient. Il ne le couvait plus que de ses yeux d'artiste, comme un motif à chef-d'œuvre, clignant les paupières, rêvant le tableau. Et il recommençait l'expérience, il le guettait des jours entiers, exaspéré que ce polisson-là ne voulût même pas dormir, aux heures où l'on aurait pu le peindre.

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