L'Œuvre

L'Œuvre (paragraphe n°1297)

Chapitre VII

Et il les amusa beaucoup, avec Naudet, qu'il connaissait bien. C'était un marchand, qui, depuis quelques années, révolutionnait le commerce des tableaux. Il ne s'agissait plus du vieux jeu, la redingote crasseuse et le goût si fin du père Malgras, les toiles des débutants guettées, achetées dix francs pour être revendues quinze, tout ce petit train-train de connaisseur, faisant la moue devant l'œuvre convoitée pour la déprécier, adorant au fond la peinture, gagnant sa pauvre vie à renouveler rapidement ses quelques sous de capital, dans des opérations prudentes. Non, le fameux Naudet avait des allures de gentilhomme, jaquette de fantaisie, brillant à la cravate, pommadé, astiqué, verni ; grandtrain d'ailleurs, voiture au mois, fauteuil à l'Opéra, table réservée chez Bignon, fréquentant partout où il était décent de se montrer. Pour le reste, un spéculateur, un boursier, qui se moquait radicalement de la bonne peinture. Il apportait l'unique flair du succès, il devinait l'artiste à lancer, non pas celui qui promettait le génie discuté d'un grand peintre, mais celui dont le talent menteur, enflé de fausses hardiesses, allait faire prime sur le marché bourgeois. Et c'était ainsi qu'il bouleversait ce marché, en écartant l'ancien amateur de goût et en ne traitant plus qu'avec l'amateur riche, qui ne se connaît pas en art, qui achète un tableau comme une valeur de Bourse, par vanité ou dans l'espoir qu'elle montera.

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